Le Corps du Papier / The paper’s body

1 – The paper’s body

I start by choosing a sheet of paper, mainly for its size, and I study it.
I look at it, I hold it, weigh it, fondle it, rub it against my cheeks.
I look at how it interacts with light, how it absorbs it and spits it out.
I observe how transparent the shades of its grain become when the sun brushes it.
I wonder how bright it is.
I look at it as if gazing at a face.

2 – Torn apart by separation

Now that we know each other, we want each other. I lay the sheet of paper on a table with the same care given to a sacrificial victim and, bare-fingered, without any tools, I fold down the edges so that they embrace each other.
From this union, which had never occurred before and will never occur again, a crease is born. I unfold the sheet and turn it over to perform the same action on the back, and unfold it again.

Both of us know that at the crease the paper has become so frail that it can’t be saved, but for the crisis; that for the whole to be turned into something, severance will be inevitable. One will become two, and there is no going back.

The ritual of meticulous handiwork starts again until getting 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256… sections of the format. Whatever size the resulting pieces are, they will all have the same length / width ratio as the original one. It is homothety.

The creases look like bulges. Straight growths which divide the surface of the sheet into squares and upset its core structure. They encourage rupture. Then, with my hands firmly and flatly set on each side of the line, the paper rips, slowly, just as you could imagine the continents drift. The edges pill.

The disheveled fringes look at us, orphaned, and tearfully testify to an act which, despite its sensitivity and consideration, is violence.
Indeed the paper’s flesh is exposed and bleeding. Sometimes, the tearing apart of the piece’s parts, similar to stretch marks, may even reveal ramified webs shading the light.
The scratched, ruffled, noisy-edged sheet has indeed become smaller, but now it is many.

3 – Mistreating and colouring

Before we met, the sheet was lying. Now it is rising, one small piece on top of another. A fragile, well-balanced stele (gravestone?) What used to be a flat area is increasing in volume, waiting for others to join it.

Now come the times of education, mistreatment and tools.
To proceed properly, you need to anticipate, envision the final piece, and organise the handicraft which aims to absorb the light in order to better return it.
For the paper, the work of monotyping is becoming something of experience, of accelerated old age, of traces and scars.
And, as you need to play devil’s advocate, if I see blue I use some orange, if I imagine green I paint some red, if I feel smooth I lay some grain, and so on, for each and every thing.

World of reflection, the negative of what it is aimed at, truth from the depth of the retina – the one that comes before the brain and perception takes action. If it turns out that the paper is stubborn, then it must be softened, disintegrated, confused without it noticing– watered, embossed.
The lessons are pounded into its body, instilled in it. It is trapped : there is no going back.

By scrupulously respecting this grammar, by utterly exploiting my strict abilities, the accident occurs – going off the road, unexpectedly.

You have to be exhausted, to have entered a body that has become mechanical and oblivious in order for the hardships to fall from the sky, as well as the harrowing and wonderful surprises that chance brings along.

Only then is it kind to give the papers a rest – as groups, side by side, as family, as friends.

After some time the process starts again. The very first idea comes to rest on the skin, and the orange gets covered in blue, the red mixes with the green, the grain is smoothed and blanks are filled. All sorts of bacteria, pigments, spices and plants, all part of my immediate environment, join in.
At that point the papers have already been through several tonnes of pressure between the rollers of the press, which is glad to have achieved its work. These smashed paper bodies are no longer completely transparent, but show through from the surface to the bottom, and you can read them just as you can read someone’s eyes.

Then, at last, it is kind to give the papers a rest – as groups, side by side, as family, as friends.

4 – The reunion, the crowd and the people.

Healed, serene and whole, the monotypes and I are ready to perfect the piece ; to make each individual’s inner world emerge.
I take them out of the line and lay them one by one on the ground. Formations are done and undone. Lines move. Strategies are forged. Little by little the group is born. A unit appears, the figure becomes a number and the number ends up being an entity.

Landscape, body, map, face, skies, universe, armour, crowds, culture, people or ocean : it doesn’t matter how it is named, as long as it is whole. Lasting or ephemeral, free or placed in a coffin, it will be a joint decision by colour and paper. As a mere notary, I will ensure that will be done.

1- Le corps du papier

Je commence par choisir une feuille, principalement en raison de son format et je me penche sur le papier. Je le regarde, je le prends dans mes mains, le soupèse, le caresse de la paume, le frotte à mes joues. Je regarde ce qu’il fait de la lumière comment il la boit et la recrache. J’observe la transparence que les ombres de son grain ont lorsque le soleil l’effleure. Je me demande quel est son éclat. Je le regarde comme on contemple un visage.

2- La déchirure de la séparation

Maintenant on se connait, on se désire. J’allonge la feuille sur une table avec l’affection qui est portée au futur sacrifié et des dix doigts, sans outils, je rabat les bords afin qu’ils s’embrassent.

De cette union qui n’avait jamais eu lieu et qui ne se reproduira pas, nait un pli. Je l’ouvre, la retourne pour lui faire la même chose dans son dos et la déplie à nouveau.

Nous savons elle et moi qu’à l’endroit de la pliure le papier est devenu si fragile qu’il ne saurait être sauvé que par la crise; que pour faire quelque chose du tout il va falloir une séparation. Le un deviendra deux et c’est irréversible.

Le rituel de gestes consciencieux reprend jusqu’à l’obtention de 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256… divisions du format. Quelque soit la taille des morceaux obtenus ils auront tous le même rapport hauteur / largeur que l’original. C’est une homothétie.

Les pliures ressemblent à des bourrelets. Excroissances rectilignes qui quadrillent la surface de la feuille et bouleversent  sa structure en son sein. Elles invitent à la rupture. Alors c’est avec les deux mains fermement à plat, de chaque coté de la ligne que le papier se déchire, lentement, comme on imagine la dérive des continents. Les bords peluchent.
Les franges hirsutes nous adressent un regard d’orphelin et portent en pleurant la preuve d’un acte qui, bien que délicat et attentionné, est violence. C’est que la chair du papier est mis au jour et saigne. Il arrive même qu’avec l’écartement des parties, semblables à des vergetures, apparaissent de façon ramifié des réseaux nuançant la lumière. La feuille scarifiée aux marges ébouriffées et bruyantes est certes devenue petite mais maintenant elle est nombreuse.

3- La maltraitance et la couleur

Avant notre rencontre la feuille s’étalait à l’horizontal maintenant petits bouts sur petits bouts elle s’élève à la verticale. Une stèle fragile, en équilibre. Elle qui était espace plan devient volume en attendant que d’autres la rejoigne.
Arrivent les temps de l’éducation, de la maltraitance et des outils.
Pour bien procéder il faut se projeter, avoir une vision de la tonalité finale, organiser le façonnage dont le but est de recevoir la lumière pour mieux la rendre. Le travail de monotype devient pour le papier celui du vécu, de la vieillesse accélérée, des marques et des cicatrices. Et puisqu’il faut prêcher le vrai pour connaitre le faux alors si je vois bleu je mets de l’orange, si j’imagine vert j’applique le rouge, si je pense lisse je pose du grain et ainsi pour chaque chose.
Monde du miroir, négatif du voulu, vérité du fond de la rétine celle d’avant l’action du cerveau et de la perception. Si le papier s’avère têtu alors il faut l’attendrir, le désagréger, semer le doute en lui sans qu’il ne s’en rende compte – lui donner de l’eau, le gaufrer. Les leçons entrent par à-coups dans sa masse, s’infusent en elle. Il est piégé: aucun retour en arrière n’est possible. 

C’est en respectant scrupuleusement cette grammaire, en restant au maximum de mes capacités rigides que va se produire l’accident -l’étonnante sortie de route. Il faut être fatigué, être entré dans un corps mécanique, trop habitué, inconscient, pour que tombent du ciel les difficultés et les surprises angoissantes et merveilleuses que le hasard apporte avec lui. 

C’est alors seulement qu’il est gentil de laisser les papiers se reposer; en groupes, côte à côte, en famille, entre amis. 

Après un temps le processus reprend. L’idée de départ se pose sur l’épiderme et l’orange se couvre de bleu, le rouge se mêle au vert, le grain est lissé et la réserve comblée. Toutes sortes de bactéries, de pigments, d’épices, de végétaux présents dans mon environnement direct s’invitent. Les papiers à ce moment ont déjà pris plusieurs tonnes de pression entre les rouleaux de la presse, heureuse d’avoir fait son oeuvre. Ces corps de papiers écrasés ne sont plus transparents de part en part mais de la surface au fond et on peut les lire comme on peut lire dans le fond des yeux.

C’est alors enfin qu’il est gentil de laisser le papier se reposer; en groupes, côte à côte, en famille entre amis. 

4-La réunion, la foule et le peuple.

Cicatrisés, apaisés et pleins, nous sommes prêts les monotypes et moi à parachever l’œuvre; à faire émerger le monde déjà présent dans chaque individualité. Je les sors du rang et les dispose un à un sur le sol. Les formations se font et se défont. Les lignes bougent. Les stratégies s’échafaudent. Petit à petit le groupe se crée. Un bloc se forme, une unité émerge, le chiffre devient nombre et le nombre fini par être unité.

Paysage, corps, carte, visage, cieux, univers, armure, foule, culture, peuple ou océan, peu importe le nom qu’on lui voit pourvu qu’il Soit. Pérenne ou éphémère, libre ou mis en bière ce sera la décision commune de la couleur et du papier. Moi en simple notaire je veillerai à ce que la volonté s’accomplisse.

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